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Carla

Gustave de Stäel

Pendant ma visite, Carla me confie :“Lors d’un récent voyage au Sri Lanka, j’ai été très impressionné par la vision de milliers de chauves-souris qui pendaient des arbres dans un jardin botanique. Une question me préoccupait : Qu’allait-il se passer lorsqu’elles s’envoleraient ?”

Les répercussions sur le paysage de toutes ces chauves-souris s’envolant eurent lieu de nuit. C’est en plein jour au contraire que Carla, à travers sa peinture, tente d’exprimer la sensation de l’espace qui se fracasse ou la tension préalable.

Mais la réponse n’était-elle pas déjà en partie dans son travail ?

 

Depuis longtemps, Carla déchire, casse, froisse, avant que de reconstruire à sa manière, avant d’exploiter un chemin visuel dans la complexité du désordre premier de son enthousiasme à fixer ce qu’elle a vu.

Rompre à tout prix avec le lisse, mettre en pièces l’uniformité, en morceaux les feuilles de bois résument ses premiers gestes. Puis, il reste “a résoudre l’image dans sa totalité”.

 

Alors, elle érige des surfaces complexes et enchevêtrées afin de réaliser un objet plein qui révéle les volumes de la réalité “qui ne se retrouvent pas pour autant aux mêmes endroits” dans le jeu de couleurs qui s’entrechoquent et d’autres qui s’affranchissent.

Une réalité revisitée et autrement habitée.

 

Cette quête engendre des tableaux qui sont le résultat de bouleversements successifs, une manière de mettre les choses en question. Ils fusent à l’image de toutes ces perspectives agissantes sur des plans différents, ces trouées qui ajoutent au sujet tridimentionnel, ces renversements visuels qui font, par exemple, que le ciel est là où on ne l’attend pas.

 

Alors, que ce soit des vues urbaines fragmentées, souvent spectaculaires, parfois vertigineuses dont les couleurs vives semblent sauter de terrasses en ruelles jusqu’à sortir quelquefois de leurs gonds ou bien des réminiscences de médinas, de voilures, de linges affleurant des toits ou de choses pêle-mêle et indistinctes sur les toitures aménagées de Tanger ou d’ailleurs mais qui portent toujours à un degré d’incandescence leurs couleurs bigarrées, parfois crues ou kitsch, tout cela ne lui importe que dans la mesure où elle reste en mouvement et réalise quelque chose qui la dépasse, dont elle se plait à dire “Il ne faut pas que l’on sache où on est”, “parce qu’on n’a pas besoin de savoir qu’est-ce qui est derrière, ni ce que cela représente”. Carla veut que l’on distingue la peinture plutôt que le motif.

 

Dernièrement, l’influence de son nouvel environnement est visible dans de grands dessins au fusain - des arbres noirs dans un ciel bleu clair parisien qui s’enivrent du tourbillon des feuilles. Par endroits, quand l’oeil s’acclimate, il remarque dans certaines formes abstraites des singes qui nous regardent ou des chauve-souris lovées dans leurs membranes.

 

Elle en suggère le poids et l’étrangeté et cherche un équilibre judicieux à l’élan des lignes et des masses qui s’associent aux plis du vaste panneau en accordéon, délaissant pour un instant ces couleurs qui frappent, qui ne sont pas forcément belles car “elle se méfie d’une palette trop agréable”. Celles qui transmettent en tous cas une force et une impétuosité dont elle essaye de conserver jusqu’au bout la trace et l’aspect brut.

 

C’est à travers ce cadre qu’elle ne cesse de bousculer et de déborder que s’exprime sa vision: Une fenêtre grande ouverte sur la vie que l’effervescence de son tempérament réhausse.

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